Gare aux mères Lyonnaises
Once upon a time…
Dans la brume des bords de Saône au Sud de Lyon, du temps ou l’eau recouvrait une large partie du Sud de la Presqu’île, se trouvait une guinguette. On y mangeait des matelotes d’anguilles à tomber par terre askip (= à ce qu’il parait). Tous les lyonnais et passants s’y régalaient : bourgeois, artistes, mariniers ou intellectuels ! C’était au milieu du 18e siècle et c’était la guinguette de la mère Guy ! La toute première mère, la mère des mères !
Ses petites filles prirent sa suite, dont la Génie. On raconte qu’elle était « haute en couleur et la langue bien pendue », caractère qui deviendra indispensable pour toute mère lyonnaise qui se respecte. Les Lyonnaises sont dans la place ! Faites du bruiiiiiiit ! 🙌
La mère de la guerre
Pendant la Première Guerre Mondiale, la mère Bizolon perd son mari et son fils. Pour surmonter son chagrin, elle décide d’aider les soldats en leur apportant du réconfort. Aidées de ses voisins et amis elle ouvre des distributions de boisson, de soupe et d’encouragements aux soldat qui passent en gare de Perrache. Elle devient “la maman des poilus”. Bientôt soutenue par le maire Herriot, les dons des lyonnais et ceux d’un riche américain, elle se construit un vrai emplacement en dur qu’elle ne quittera pas durant toute la grande guerre.
La mère Bizolon distribuant la soupe aux poilus
🎧 Écoutez notre épisode de podcast sur la Mère Bizolon !
De bonnes à patronnes !
Au sortir de la Grande Guerre, c’est la crise… Les familles bourgeoises ne peuvent plus employer autant de bonnes qu’au bon vieux temps ! Ils commencent par remercier la mieux payée : la cuisinière. Les cuisinières doivent repenser leur survie financière en toute autonomie. Elles font preuve de débrouillardise et des dizaines de femmes ouvrent leur restaurant !
Chacune s’adapte à ses moyens et au quartier dans lequel elle s’implante mais elles ont toutes la même formation de base : la cuisine bourgeoise et familiale. Elles étaient si balaises que dans les années 30, plusieurs mères obtiennent des étoiles au guide Michelin ! Jusqu’à 3 étoiles pour la mère Brazier ! (On vous raconte l’histoire de la Mère Brazier ici) Belle reconnaissance de leur travail et de la qualité de leur cuisine mais surtout… le monde entier se tourne vers les mères et la cuisine Lyonnaise !
La cuisine était leur vie. Passion dévorante ? Combat pour sortir de leur condition d’origine ? Sûrement un mélange des deux, mais une chose est sûre, toutes y ont consacré leur temps et leur vie.
Ni mères, ni Lyonnaise
Lyonnaises ?
La mère Fillioux, la mère Brazier, la mère Léa… aucune n’est Lyonnaise d’origine ! Presque toutes viennent de Savoie, de la Bresse, d’Auvergne ou encore du pays niçois, et arrivent à Lyon pour trouver du travail. D’ailleurs ce qui fait la gastronomie lyonnaise à l’heure ou les réfrigérateurs n’existent pas, c’est la diversité et la qualité des terroirs des régions environnantes et les mères les connaissaient très bien ! Pour en savoir, vous pouvez lire notre article « Pourquoi la cuisine lyonnaise est-elle si bonne ? »
Malgré notre chauvinisme légendaire chez Cybèle, nous devons avouer qu’il y a des cuisinières nommées “mères” dans d’autres communes autour de Lyon, comme la mère Chastaing à Condrieu par exemple.
Mères ?
Certains interprètent cette dénomination “mère” comme un surnom affectueux, d’autres comme un sobriquet péjoratif “la mère machin”. Les mères lyonnaises n’en tiennent pas compte et tracent leurs routes !
On les appelle “mères” mais elles ne sont pas franchement réputées pour avoir les qualités premières que l’on attribue classiquement à une mère. La plupart étaient assez “brut de décoffrage” et grandes gueules. Elle consacraient leur vies à leur commerce, travaillaient dur et sans relâche.
Des cuisinières dur à cuire
Si tu te montrais hautain ou impoli (ou simplement si ta tête ne leurs revenait pas), tu pouvais te rhabiller ! Les mères n’accueillaient QUE ceux qu’elles voulaient accueillir, les autres pouvaient bien aller se faire voir. Elles annonçaient que le restaurant était plein, quand bien même la moitié des tables étaient vides !
La mère Brazier avait supprimé le comptoir (symbole de convivialité) pour que son établissement ne soit pas fréquenté par n’importe qui !
La mère Léa, faisait son marché avec une pancarte accrochée à son diable (nommé Pouët-pouët) sur laquelle on pouvait lire : “Attention faible femme, mais forte gueule”.
Léa Bidaut, mère lyonnaise, faisant son marché quai Saint-Antoine.
Elle faisaient ce qu’elles voulaient, fallait pas les faire suer !
Des femmes « badass »
Les mères n’étaient pas seulement d’excellentes cuisinières. Elles étaient aussi patronnes de leurs établissements !
Recontextualisons 🤓 : À l’apogée des mères, durant l’entre-deux guerre, les femmes sont juridiquement mineures (eh oui), elles n’ont pas le droit d’ouvrir un compte en banque (eh non, jusqu’en 1965) ni de signer un contrat. Et malgré ce contexte elles arrivent à devenir gérantes de leur propre établissement. Elles s’entourent d’hommes (qui peuvent être leur mari ou non), elles s’associent à eux et ouvrent leurs restaurants. Mais ne nous y méprenons pas, ce sont bien elles les patronnes !
Elles n’ont pas pensé les choses en ces termes mais aujourd’hui, elles incarnent une belle émancipation des femmes de l’entre-deux guerre. Elles ont une détermination inébranlable. Bref, elles sont trop badass ! Et ça se voit dans le regard de Tante Paulette. Non ?
Tante Paulette, mère Lyonnaise, reine des cardons.
Pour en savoir plus sur l’histoire de la gastronomie lyonnaise il y a nos deux visites avec dégustation « Gones & Grattons » :
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