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Fête des lumières, Podcast

Lyon, 7 décembre 1852. [Fête des lumières #3] 🕯

Podcast Histoires Et Gognandises Lyonnaises 1

Lundi 7 décembre 2020

Pendant le confinement, chaque jour une chanson ou une histoire ! Aujourd’hui, voici le troisième épisode de notre mini-série sur l’histoire de la Fête des Lumière.

Le mardi 7 décembre 1852, Gabrielle, blanchisseuse à la Guillotière allait rendre son visite à son mari, malade, à l’Hôtel-Dieu.

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Mardi 7 décembre 1852. Depuis 8 mois seulement, les faubourgs populaires de Vaise, de la Croix-Rousse et de la Guillotière ont été annexés à la ville de Lyon. La Guillotière est un quartier pauvre, d’ouvriers, et d’immigrés. Ils viennent d’Ardèche, du Bugey ou du Limousin, poussés par la faim, ils viennent chercher du travail à la ville.

Ce soir là, sur le pont de la Guillotière, une femme pauvrement vêtue marche vite. Elle s’appelle Gabrielle, et elle se dirige vers l’Hôtel-Dieu.

[Religieuse] : Bonsoir Gabrielle, votre mari vient de se rendormir. Il a encore eu beaucoup de fièvre aujourd’hui. Mais vous pouvez entrer pour aller le voir.

[Gabrielle] : Bonsoir, c’est moi.
Cette semaine, c’est vraiment pas ma veine. J’ai travaillé à toute vitesse toute l’après-midi pour terminer l’ouvrage et ne pas arriver trop tard. Je m’en suis brûlé les doigts. Et j’arrive quand même trop tard, tu dors à nouveau. Mais je vais quand même te donner des nouvelles. Peut-être bien que t’entendras tout ça quand même.

Pierre va bien, son apprentissage est bientôt terminé. On espère tous que tu seras rentré à la maison quand il deviendra compagnon. Qu’on pourra célébrer ça. Je l’ai vu, il essaye de faire ça discrètement mais je crois qu’il économise un sou ou deux par semaine pour un diner de fête. Il veut nous faire la surprise.
Je suis un peu inquiète pour ses mains par contre. À force de plonger toute la journée dans les bains de teinture, elles sont de plus en plus brûlées, il ne se plaint pas mais je vois qu’il a mal. Parfois, j’oublie que c’est plus un enfant, il commence à être solide du haut de ses 15 ans.

Jeannette lit de mieux en mieux. Tu serais fière d’elle. Et elle travaille dur. Elle a pas peur de se brûler les mains, et puis à côté de son frère et de ses bains de teintures chimiques, l’eau bouillante et la lessive, c’est rien. Maintenant qu’elle grandit, j’arrive même à lui donner des draps mouillés à essorer. Ne t’inquiètes pas, je lui donne des petits draps pour commencer, c’est suffisant pour une petite de 9 ans. Mais elle apprend. Bientôt, elle pourra m’aider comme une vraie blanchisseuse.

Et puis l’apprentissage de Philippe se passe toujours bien. Mais je crois que son patron lui met de plus en plus d’idées révolutionnaires dans la tête. Je m’en doutais hein, à travailler 15h par jour dans un atelier de canuts, forcément… L’autre jour il parlait des voraces. Il en a rencontré quelques uns. Ils essayent de se mobiliser mais c’est difficile.
Depuis qu’on les a obligés à rejoindre la garde nationale et qu’elle a été désarmée, ils n’ont plus aucun poids. Ils parlent de la cause républicaine. De justice sociale aussi. Et d’égalité. Il a plus que ces mots à la bouche. Il est très en colère.

J’entends ce qu’il dit. Je crois qu’il a raison. On voit bien qu’avec ton salaire en moins, c’est plus difficile de s’en sortir. Pierre et Philippe ont toujours faim. J’essaye de leur laisser des plus grosses part, mais il faut bien que je puisse porter les baquets d’eau et les linges mouillés moi aussi. Même si mon salaire est à peine plus haut que celui d’un apprenti.
Mais je prie la Sainte Vierge pour lui, tous les jours. Pour toi, pour lui, et pour nous tous. Pour qu’on puisse passer cet hiver sans trop de peine.

Tiens, d’ailleurs, je ne sais pas si tu te souviens, c’était juste avant que tu tombes malade, ils parlaient d’une grande statue de la Vierge qu’ils vont installer à Fourvière, sur le clocher de la petite chapelle. Et ben on ne pourra même pas assister à la grande messe de bénédiction. Elle aura lieu demain, mercredi. Des ouvriers du quartier, et d’autres de la Croix-Rousse ont écrit au cardinal pour que la messe soit reportée à dimanche. Le cardinal a dit que c’était pas possible. Tu crois que ça l’importe à la Sainte Vierge qu’on la prie dimanche ou mercredi ? Ils doivent vraiment pas avoir envie qu’on soit la.

Bien sûr, ça ne les dérange pas eux. Tous les soyeux, les négociants, les chanoines et les curés. Le petit peuple travaille pour eux, ils peuvent bien aller passer tout leur mercredi à la messe et à la procession. Ça va être bien triste pour nous tous. On pensait qu’on pourrait au moins participer avec les grandes illuminations dans toute la ville, mais il risque d’y avoir de l’orage. Il y a déjà beaucoup de vent depuis ce midi. Ils ont fait placarder un avis sur toutes les portes des églises de la ville. Les illuminations sont repoussées à dimanche soir, après la messe. Enfin, la deuxième. Celle sans la bénédiction.

Écoute, je vais rentrer voir les enfants. J’ai donné de l’argent à Pierre pour qu’il achète un peu de charbon pour les prochains jours. Il fait trop froid, on dort mal.

Hier soir, quand je rentrais, je me suis retournée sur le pont de la Guillotière et je voyais les petites lumières là haut à Fourvière, je crois que les ouvriers travaillaient pour finir d’installer la statue. On dirait qu’elle est en or. Même si Philippe il y va un peu fort avec ses idées républicaines, je trouve qu’il a quand même raison sur une chose : c’est quand même pas juste qu’ils dépensent tout cet argent pour de l’or quand nous on a presque rien à manger.

D’ailleurs, les voraces, ils ont ressorti un article de l’écho de la fabrique d’il y a au moins 20 ans. Il disait : “La classe ouvrière ne peut plus se résigner à souffrir et à mourir en psalmodiant des cantiques à la Vierge pour la prier d’envoyer du bon ouvrage.” Ils ont un peu raison tu crois pas ?

Tous ces soyeux qui disent à notre Philippe qu’ils ont pas de quoi lui donner un sou de plus, ils ont bien de quoi payer des jolies statues en or. Enfin, j’arrête de t’embêter avec ça parce que je veux pas que tu penses que c’est de ta faute si on va mal. La maladie, elle t’est tombée dessus, et personne y pouvait rien. Alors on va se débrouiller, t’inquiètes pas, et on t’attend. Et quand tu rentreras et que tu seras guéri, on trouvera de quoi se faire un petit dîner de fête. J’achèterai une tranche de lard juste pour toi. Pour que tu te retapes.

Le curé a dit que demain soir, pendant la bénédiction, l’archevêque accordait quarante jours d’indulgence à tous ceux qui lèveraient les yeux vers la nouvelle statue en disant « Je vous salue Marie ! » Moi je vais pas lui demander d’indulgences à la Sainte Vierge. Je m’arrangerai bien toute seule avec mes péchés. Je vais lui demander que tu te retapes, et que la fièvre te quitte.

Allez, dors bien.

Retrouvez toutes nos « Histoires et Gognandises Lyonnaises » sur notre calendrier de confinement, ou en podcast : Spotify, Deezer, Apple Podcasts, Soundcloud.

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