Le bureau d’entrĂ©e dans l’histoire de France đ«đ·

Vendredi 07 mai 2021
Pendant le troisiĂšme confinement, pas de sĂ©rie d’histoire et de Gognandises, mais un Ă©pisode bonus ! Nous sommes allĂ©es poser notre micro dans la salle d’attente du bureau d’entrĂ©e dans l’histoire de France…
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La scĂšne se passe dans lâau-delĂ , dans la salle dâattente du bureau dâentrĂ©e dans lâHistoire de France.
Câest une petite piĂšce lumineuse avec une grande fenĂȘtre qui donne sur un jardin. Tout autour, des fauteuils sont installĂ©s et plusieurs personnes attendent, majoritairement des femmes.
Soudain la porte sâouvre, une secrĂ©taire entre dans la piĂšce avec un dossier Ă la main.
– Madame⊠Julie-Victoire DaubiĂ© ?
– Oui !
– Madame, votre dossier est complet, vous allez pouvoir passer au bureau dâentrĂ©e dans lâhistoire de France. On vient de recevoir la derniĂšre piĂšce manquante, vous aviez, suffisamment de rues Ă votre nom, de places, dâĂ©tablissements publics, votre page wikipedia, le moteur de recherche Google vous a mis sur sa page dâaccueil, et enfin, dans la ville de Lyon oĂč vous avez Ă©tĂ© la premiĂšre femme Ă passer le concourt du baccalaurĂ©at, une BD sur votre vie est sortie en septembre 2020. Vous pouvez passer au bureau, vous allez pouvoir entrer dans lâhistoire de France.
– Oh merci, je suis tellement heureuse merci beaucoup !
– Ensuite, Madame Denise Domenach-Lallich ? Lalliche ? Je sais pas comment on prononce ça.
– Oui câest moi !
– On va regarder votre dossier ensemble si vous voulez ?
– Oui bien sĂ»r, alors voilĂ , jâai tous les papiers. Les livres que jâai Ă©crits sur mon expĂ©rience en tant quâagent de liaison et faussaire dans la rĂ©sistance, les papiers qui prouvent que jâĂ©tais responsable des Jeunes des Mouvements unis de la RĂ©sistance quand jâavais 20 ans, mon engagement Ă la libĂ©ration, voilĂ . Oui juste avant la libĂ©ration jâai pas beaucoup de documents mais câest parce que jâĂ©tais recherchĂ©e activement par la Gestapo, jâai quittĂ© Lyon et vĂ©cu dans la clandestinitĂ© jusquâĂ la libĂ©ration. AprĂšs il y a les documents du Centre dâHistoire de la RĂ©sistance de la DĂ©portation Ă Lyon oĂč ils ont parlĂ© de moi. Bon Ă©videmment les rues Ă mon nom yen a pas encore parce que je viens de mourir, et ma fiche wikipedia. VoilĂ . Ah oui et jâai un dernier document qui vient dâarriver, jâai Ă©tĂ© mentionnĂ©e derniĂšrement dans une exposition sur les femmes du 5e arrondissement Ă Lyon.
– Bien, merci, je prends votre dossier et on va examiner tout ça madame.
– Oui je croise les doigts !
– Oui ben Ă©coutez il faut surtout suivre la procĂ©dure hein.
– Excusez-moi, ça va ĂȘtre encore long pour moi ?
– Votre nom madame sâil vous plait ?
– Marcelline Desbordes Valmore.
– Alors⊠Ah non dĂ©solĂ© madame mais il va falloir encore patienter votre dossier est loin dâĂȘtre complet.
– Comment ça il est loin dâĂȘtre complet ? Mais vous vous moquez de moi ? Vous avez vu tous les poĂštes super cĂ©lĂšbres qui ont parlĂ© de moi et qui mâadmiraient ? Balzac, Beaudelaire, Sainte-Beuve, tous des hommes en plus !
– Je sais Madame, mais pour lâinstant ça ne suffit pas je regrette.
– Non mais attendez jâai mĂȘme une fiche wikipĂ©dia, et dessus câest Ă©crit que je suis la prĂ©curseuse, euh, prĂ©curseur, de la poĂ©sie moderne ! Jâai revendiquĂ© le fait de pouvoir Ă©crire en tant que femme dans un poĂšme Ă©coutez : « Les femmes, je le sais, ne doivent pas Ă©crire, JâĂ©cris pourtant, Afin que dans mon cĆur au loin tu puisses lire Comme en partant »âŠ
– Madame je regrette je ne peux rien faire pour vous. Ce nâest pas ma faute si personne ne vous lit. Vous connaissez la procĂ©dure, pour les Ă©crivaines et les Ă©crivains, tant que vous nâĂȘtes pas dans un programme scolaire, je ne peux pas faire passer votre dossier. DĂ©solĂ©.
– Pfffff⊠câest pas vrai çaâŠ. Ăa fait plus de 160 ans que jâattends !
<em>- [Petit rire] </em>160 ans⊠Bah elle peut prendre son courage Ă deux mains hein. 160 ans hahaâŠ
– Vous attendez depuis longtemps ?
– Moi ? [Baille, sâĂ©tire] 450 ans. Environ.
– 450 ans ? Mais vous ĂȘtes qui ? Vous avez fait quoi ?
– Moi câest Marguerite Debourg je suis fille dâune grande famille bourgeoise lyonnaise et jâai Ă©tĂ© le centre la vie artistique et culturelle lyonnaise au milieu du 16e siĂšcle. Jâai Ă©tĂ© mariĂ©e jeune, et mon mari est mort assez rapidement, jâai choisi de ne pas me re-marier pour pouvoir profiter un peu. Jâinvitais tous les grands artistes lyonnais dont tout le monde parle, Maurice ScĂšve, Pernette du Guillet, Louise LabĂ©, ClĂ©ment Marot⊠Certains se sont rencontrĂ©s grĂące Ă moi, et jâai commanditĂ© des Ćuvres aussi. Enfin voilĂ jâĂ©tais vraiment au centre de la vie artistique.
– Et⊠vous nâavez pas rĂ©ussi Ă entrer dans lâhistoire ?
– Oh bah⊠non. Mon mari a fait construire une galerie hyper cĂ©lĂšbre qui se visite toujours dans notre demeure du 8 rue Juiverie, Ă Lyon par un architecte⊠qui est passĂ© un moment par cette salle dâattente. Philibert De l’Orme. Il a eu sa petite pĂ©riode dâoubli aussi. Et puis bon, lui forcĂ©ment il a fini par passer vite dans lâhistoire. Moi⊠jâattends. Et puis je vais vous dire, mon dossier est pas prĂȘt de passer, jâai mĂȘme pas de fiche wikipĂ©dia.
– Ah ben mince. Câest vrai que vous ĂȘtes mal barrĂ©e.
– Et vous ? Vous attendez depuis longtemps ?
– Oui pas mal, mais pas autant que vous. Moi non plus je ne sais plus quand je suis morte. Jâimagine que câest pareil pour vous, comme je suis pas encore entrĂ©e dans lâhistoire, personne ne mâa aidĂ© Ă rechercher ma date de dĂ©cĂšs. Bref, ça fait un peu plus de 200 ans que je suis lĂ . Je suis Marie-Anne Perrache.
– Ah oui tiens Perrache, ça me dit quelque chose⊠Mais ! Perrache ? Câest pas un quartier de Lyon hyper connu ça ?
– Si si mais⊠câest mon frĂšre. Antoine-Michel.
– Ah. Ben oui. ForcĂ©ment. Et alors, pourquoi vous ĂȘtes lĂ vous ?
– Ben, je suis peintre, mais surtout, Ă la mort de mon frĂšre, jâai tout fait pour essayer de sauver son travail. Jâai pris la direction de son entreprise qui sâoccupait des travaux dâassĂšchement du sur de la presqu’Ăźle. Le quartier Perrache quoi. Lâentreprise Ă©tait complĂštement endettĂ©e, les travaux coutaient hyper cher, jâai passĂ© des annĂ©es Ă bosser comme une dingue pour tout remettre Ă flot. Sans doute que si jâavais rien fait, la compagnie aurait sombrĂ© dans lâoubli, mon frĂšre aussi, et on aurait appelĂ© le quartier du nom des ingĂ©nieurs suivants. Mais bon, jâai un peu plus dâespoir que vous, moi jâai une fiche wikipedia.
– Ah pas mal !
– Et euh⊠je peux vous poser une question ? Câest qui les deux dames lĂ bas ? On dirait quâelles sont mortes. MĂȘme si bon, je sais bien, on est toutes dĂ©jĂ mortes donc câest impossible.
– Ah, câest Julia et Memmia Sosandris. Elles Ă©taient dĂ©jĂ dans cet Ă©tat quand je suis arrivĂ©e. Venez, on va aller les voir.
âŠ
– Bonjour, vous ĂȘtes qui ?
– ⊠Je suis⊠Julia. Plus ancienne femme connue de Lyon.
– Ah bon ? Vous ĂȘtes lĂ depuis combien de temps.
– 2000 ansâŠ
– Mais⊠vous avez fait quelque chose de remarquable ?
– ⊠aucune idĂ©e. Je suis juste la plus ancienne femme dont on conserve le nom.
– Et votre amie Ă cĂŽtĂ© ?
– Memmia Sosandris. Elle est arrivĂ©e 200 ans aprĂšs moi. Cheffe dâentreprise. CâĂ©tait tellement rare Ă notre Ă©poque. Elle a fait des choses incroyables Memmia. Mais bon. Ăa fait quand mĂȘme 2000 ans quâon attend ici pour entrer dans lâhistoireâŠ
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