Interview de Juliette RĂ©camier đ
Lundi 30 mars 2020
Pendant le confinement, chaque jour une chanson ou une histoire ! Aujourd’hui, c’est Juliette RĂ©camier qui vous parle !
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Bonjour ! Câest Juliette ! Mais non pas Juliette de RomĂ©o et Juliette, Juliette RĂ©camier ! Tu vois pas ? Je suis sur le mur des Lyonnais, en plein centre ! Eh oui, jâai passĂ© les 10 premiĂšres annĂ©es de ma vie Ă Lyon. Bon aprĂšs je suis montĂ©e Ă Paris, sans ça jâaurais pas frĂ©quentĂ© tous les illustres de mon temps !
Je ne vais pas te raconter ma vie, je mâĂ©tale rarement en public mais dans les grandes lignes je suis nĂ©e Ă Lyon, mon pĂšre sâest rapprochĂ© de Louis XVI quand jâavais 10 ans alors on est partis vivre Ă Paris. Jâai Ă©tĂ© mariĂ©e Ă 15 ans Ă lâamant de ma mĂšre⊠ouais câest un peu chelou mais câĂ©tait un mariage blanc. Un mariage non consommĂ© si tu veux. Et ça câĂ©tait pas mal parce que comme ça jâavais un statut officiel de âfemme mariĂ©eâ, confortable, tout en gardant une certaine libertĂ©, et ça nâa pas de prix !
Jâai beaucoup travaillĂ© lâimage que je donnais de moi-mĂȘme ? Une image de femme âbien sous tous rapportsâ comme il fallait quâune femme soit. Et une fois que tu prĂ©sentes bien, que ton image correspond aux attentes, bah tu peux plus facilement rencontrer plein de monde, ĂȘtre libre dans tes relations, tout ça tout ça⊠De toute façon si tâĂ©tais trop rebelle, tu risquais de finir Ă la guillotine !
Il nây avait pas Insta de mon temps et pourtant jâavais dĂ©jĂ bien compris lâimportance de lâimage. Nan, nous ce quâon faisait câĂ©tait des salons ! Ouais bah câĂ©tait pareil hein, fallait avoir du rĂ©seau, fallait interagir avec tout le monde, et fallait avoir un peu de rĂ©fĂ©rences culturelles. Moi jâavais tout ça ! Alors dans mon bel hĂŽtel particulier jâorganisais des salons littĂ©raires et jâaime autant vous dire quâil y avait du beau monde !
Jâai eu Ă coeur de paraĂźtre toujours mystĂ©rieuse. Ăa rend attractive. Ăa donne envie aux gens dâen savoir plus. MĂȘme pas besoin de faire dâeffort, ils venaient Ă moi ! Jâai demandĂ© aux artistes de me reprĂ©senter avec un regard Ă la fois naĂŻf et mystĂ©rieux. Ăa correspondait aux attentes, câĂ©tait un peu le duckface en contreplongĂ©e de votre temps.
Je me montrais pure et innocente avec mes vĂȘtement blancs. Je me montrais douce grĂące Ă mes poses alanguies, aux drapĂ©s de mes vĂȘtements, et aux teintes et matiĂšre quâutilisaient les artistes qui me reprĂ©sentaient. Câest un peu comme si je mettais un filtre insta genre âRiseâ ou âValenciaâ enfin un truc un peu doux dans le traitement ! Câest pas que jâai pas de caractĂšre hein ! Je sais trĂšs bien ce que je veux, mais mes reprĂ©sentations ne montrent de moi que cette femme dĂ©licate.
Jâai sĂ©duit les plus grandes personnalisĂ©s de mon temps, je me suis presque mariĂ©e au prince de Prusse ! Ah Auguste, câĂ©tait si romantique notre histoire⊠Jâai aussi eu ChĂąteaubriand comme amant ! Pour ne citer quâeux⊠et jâen passe sur mes innombrables soupirants !
Jâavais vraiment choisi MON style⊠un style un peu antique je dirai. Souvent un peu dĂ©nudĂ©e pour ĂȘtre dĂ©sirable mais pas trop pour pas ĂȘtre vulgaire. Les cheveux remontĂ©s par un ruban, avec quelques mĂšches libres dans la nuque. Ăa ça marche bien parce câest trĂšs travaillĂ© et ça semble hyper naturel ! Et un postiche de cheveux pour faire du volume au-dessus.
Et enfin autre attente : la constance ! En amitiĂ©, en amour – bien que jâai eu plusieurs amants – mais surtout : dans mon style vestimentaire. Du jour ou jâai choisi ces vĂȘtements et cette coiffure, je ne lâai plus quittĂ©s de toute ma vie ! Eh oui, si vous vous adaptez Ă la mode, vous ĂȘtes comme tout le monde alors que si vous assumez un style nouveau et bien Ă vous : vous ĂȘtes unique et repĂ©rable dans le temps ! Bon ça mâa valu quelques moqueries de mes contemporaines qui disait Ă certains moments que jâĂ©tais ringarde. Mais moi, ce que je vois câest que ça mâa rendue intemporelle. Jeune ou vieille jâai toujours eu la mĂȘme allure, la mĂȘme aura. On peut dire que jâai pas vieilli ! Bon ok, ça câest aussi un peu grĂące aux âfiltres anti-Ăągeâ commandĂ©s aux artistes qui mâont reprĂ©sentĂ©eâŠ
En tout cas, grĂące Ă cette mise en scĂšne de mon apparence et Ă mon esprit aiguisĂ©, jâai pu vivre ma vie, rencontrer beaucoup de femmes et dâhommes et dĂ©velopper mes connaissances et rĂ©flexions.
Un jour M. Tocqueville Ă©tait venu Ă un de mes salons. Je lui avait demandĂ© : âQue pensez-vous de lâĂ©galitĂ© M. Tocqueville ?â
Il mâavait rĂ©pondu : âLâĂ©galitĂ© ma chĂšre Juliette me fait toujours penser Ă vous. Les hommes ne savent pas vraiment lâatteindre. Elle recule devant eux sans cesse, mais sans jamais se dĂ©rober Ă leur regard et en se retirant elle les attire Ă sa poursuite. Ils la voient dâassez prĂšs pour connaĂźtre ses charmes. Ils ne s’approchent pas assez pour en jouir. Et ils meurent avant dâavoir pleinement savourĂ© sa douceur.â
âDĂ©sormais je vais mâappeler Juliette ĂgalitĂ©.â
Allez je dois partir. Mais si tu veux me voir, câest possible au musĂ©e des beaux-arts de Lyon. Ouais, Ă ma mort je leur ai lĂ©guĂ© des reprĂ©sentations de moi. Bah ouais lâimage ça sâarrĂȘte pas en fin de vie faut travailler son image jusque dans la postĂ©ritĂ© !
Jây vais ! Ă bientĂŽt !
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