Henriette LĂ©tourneau đ§”

Mercredi 18 novembre 2020
Pendant le confinement, chaque jour une chanson ou une histoire ! L’Ă©pisode d’aujourd’hui a Ă©tĂ© enregistrĂ© avec HĂ©lĂšne de l’association Soierie Vivante !
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Voici lâhistoire dâHenriette Jeanne Letourneau, nĂ©e Dunoyer, fondatrice de lâassociation Soierie Vivante.
Jean-Claude Dunoyer, son pĂšre, nait en 1872 prĂšs de MĂącon. Fils de fermiers, il ne souhaite pas reprendre l’affaire familiale et arrive Ă Lyon pour devenir passementier. La passementerie est la fabrication de petites largeurs de tissus, dont font partie les rubans. Au 19Ăšme, Lyon comptait de nombreux tisseurs, mais aussi des passementiers, qui tissaient des galons dâor et dâargent pour lâarmĂ©e, ou pour des ornements dâEglise.
Il se marie en 1895 avec Augustine Sirand, qui est dĂ©videuse, elle travaille le fil de soie. Ils ont deux fils : Lucien et AimĂ©. La famille sâinstalle en location au 21 rue Richan pour NoĂ«l, le 24 dĂ©cembre 1909. L’atelier est vaste : une belle hauteur sous plafond, de grandes fenĂȘtres, et il comporte, comble du confort, une habitation sĂ©parĂ©e de la piĂšce de travail. Jean-Claude installe trois beaux mĂ©tiers en noyer: un pour lui, et un pour chacun de ses fils.
Le 30 mars 1912, la famille sâagrandit avec la naissance dâHenriette Jeanne au domicile. Deux ans plus tard, la guerre Ă©clate et l’activitĂ© s’arrĂȘte : les hommes sont mobilisĂ©s. Seul le pĂšre reviendra. Les deux fils sont tuĂ©s Ă un mois dâintervalle, dĂšs 1914. Au retour de la guerre, M. Dunoyer ne peut pas travailler seul, et forme sa fille petit Ă petit, le soir aprĂšs l’Ă©cole. Henriette commence Ă travailler Ă plein temps avec ses parents Ă 12 ans, aprĂšs avoir obtenu son certificat dâĂ©tudes. Elle renonce Ă son rĂȘve de devenir institutrice. Mais le travail lui plait et elle progresse auprĂšs de ses parents.
En 1938, Augustine meurt, laissant son mari et sa fille Ćuvrer ensemble. Ils ne resteront pas seuls bien longtemps car, un an plus tard, en avril 1939, Henriette se marie avec Pierre LĂ©tourneau. Ce dernier sâinstalle au domicile et assiste la famille Ă lâatelier. Cependant, Ă cause de la guerre, il y a trĂšs peu de travail, il intĂšgre alors les services de la Ville.
Jean-Claude Dunoyer meurt en 1954, Ă lâĂąge de 82 ans. Le jour de sa mort, il Ă©tait aux cĂŽtĂ©s de sa fille devant ses mĂ©tiers. Henriette poursuit seule la production, et veille sur les mĂ©tiers Ă tisser en permanence. Elle travaille six jours sur sept, de 7h du matin jusquâĂ 19h, au minimum. Ses productions sont envoyĂ©es dans le monde entier: aux Etats-Unis, en Argentine, en Inde, en Russie, en GrĂšce…
En 1956, le couple devient enfin propriĂ©taire de lâatelier. Le cĂŽtĂ© appartement est alors mis en location, et ils acquiĂšrent une maison Ă la Croix-Rousse, avec un grand jardin. Henriette aimait les plantes, il y en avait de nombreuses prĂšs de ses mĂ©tiers Ă tisser.
En 1976, elle prĂ©sente le concours des Meilleurs Ouvriers de France et obtient la mĂ©daille d’or. Cette rĂ©compense a Ă©tĂ© l’une des grandes fiertĂ©s de sa vie. Elle prend sa retraite deux ans plus tard, en 1978, aprĂšs 54 ans de travail. Elle ne trouve pas de repreneur : quelques mĂ©tiers anciens dans un appartement au premier Ă©tage d’un immeuble d’habitation, c’est dĂ©jĂ du passĂ©…
Elle prend conscience qu’elle dĂ©tient un des derniers tĂ©moins de l’Histoire du quartier, et propose Ă la Ville de Lyon d’acquĂ©rir le 21 rue Richan. L’atelier et les mĂ©tiers deviennent municipaux en 1982, et Henriette attend, plus ou moins patiemment, l’inauguration de son ancien atelier.
Cependant, dix ans plus tard, d’anciens voisins l’alertent d’un possible dĂ©mĂ©nagement… Elle apprend qu’au fil des municipalitĂ©s, le projet a Ă©tĂ© modifiĂ©. La Ville a alors lâintention de prĂ©senter les mĂ©tiers en tant que symbole : ainsi l’un des mĂ©tiers Ă tisser aurait pu se retrouver Ă la station de mĂ©tro « Croix-Rousse ».
Henriette et ses amis lancent une pĂ©tition, qui rĂ©colte plus de 5000 signatures en moins de 10 jours. Il faut sauver l’atelier ! Lâassociation de sauvegarde du patrimoine Soierie Vivante est crĂ©Ă©e en 1993. Une convention est signĂ©e avec la Ville, et les clĂ©s sont rendues. Henriette LĂ©tourneau reprend donc avec plaisir le chemin de son atelier, prĂ©sente aux visiteurs ce qui Ă©tait sa vie et fait fonctionner les mĂ©tiers Ă tisser, jusquâĂ sa mort, le 14 novembre 2005, Ă lâĂąge de 93 ans. Elle est enterrĂ©e au cimetiĂšre de la Croix-Rousse, Ă proximitĂ© de la tombe de Tony Garnier.
Mais l’histoire continue : depuis plus de 27 ans, Soierie Vivante prĂ©serve et anime son patrimoine dâexception : les mĂ©tiers fonctionnent toujours quotidiennement, et l’association prĂ©sente aujourd’hui un deuxiĂšme atelier, tĂ©moin d’une autre histoire du tissage Ă la Croix-Rousse.
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